Quelques jours après la rentrée de septembre 1911, les élèves des écoles municipales britanniques se mettaient en grève. De Dundee à Southampton en passant par Liverpool et Dublin, plus de 62 villes étaient touchées, particulièrement dans les secteurs industriels, les régions déshéritées et opprimées. Mouvement national qui dura quinze jours et prit une ampleur considérable ; selon les comptes-rendus de presse, ce sont « des centaines d’enfants qui défilèrent dans les rues » ; ailleurs, comme à Dundee ou Hull, « des milliers d’enfants défiant les autorités scolaires ».
La grève a commencé à l’école catholique de Sainte Marie quand 13 des garçons plus âgés ont abandonné les plus jeunes dans la cour de récréation. Une fois qu’on sut qu’ils étaient en grève, la nouvelle se répandit et avant le début des classes de l’après-midi, elle avait atteint plusieurs écoles de l’Est de Hull. Aussitôt, il y eut des attroupements d’enfants devant les écoles hurlant : « dehors » ou bien « jaunes » aux élèves qui retournaient en classe. (Hull Daily News, 13 septembre 1911).
Dans son ensemble et malgré quelques articles à la une, la presse a tendance à minimiser les faits, en les présentant comme une parodie des grèves d’adulte et de l’agitation sociale de l’été 1911 (1). « L’épidémie de grève qui sévit actuellement a touché la jeune génération et, afin d’être à la mode, les écoliers ont décidé de poser l’outil.
La chose commença à l’école Bigyn, lorsque les écoliers par solidarité pour leurs condisciples qui avaient été punis, décidèrent d’abandonner la classe et de défiler dans les rues en criant et en chantant » (Llanelly Mercury, 9 septembre).
« Autrefois les enfants s’inspiraient des récits d’aventures et des épisodes les plus romanesques de l’histoire rapportée dans leurs manuels. La presse illustrée et le cinéma les ont davantage mis en contact avec les événements quotidiens. La conduite de la grève révèle une grande familiarité avec les méthodes employées par les cheminots et les dockers durant la grève » (Birmingham Daily Mail, 14 septembre).
Le scénario de la grève était partout plus ou moins semblable. À Dundee : « De véritables scènes de charivari eurent lieu hier à l’occasion d’une grève d’écoliers. Il n’y avait pas moins de huit écoles concernées et on a calculé que vers l’après-midi plusieurs milliers de garçons se sont mutinés. L’agitation commença à l’école de Cowgate où il y eut un débrayage dans la matinée, et où l’on vit les chefs du mouvement brutaliser ceux qui refusaient de les suivre…
Vers 11 heures, l’agitation semblait avoir pris fin. Mais la nouvelle de la grève s’était largement répandue dans la ville et à l’heure du déjeuner, il y eut des défections dans les écoles de Wallacetown, Victoria road, Blackness, Balfour Street et Ann Street ; les garçons défilèrent à travers la ville, adoptant différentes tactiques pour protéger ceux qui voulaient rejoindre leurs rangs. Une bande se rendit à la High School et, armée de bâtons et de projectiles, fit une manifestation. Elle ne réussit pas à faire la moindre recrue dans cette institution… » (Paisley Daily Express, 15 septembre).
Souvent, dès qu’ils étaient sortis de l’école, les gosses s’organisaient en élisant des comités de grève et des piquets volants chargés d’entraîner à la grève d’autres écoles: « Au moment où les écoliers rentraient en classe, 10 grévistes environ apparurent armés de bâtons et de barres de fer et autres armes du même type, ils lancèrent des pierres sur les fenêtres de l’école et le policier de garde eut le plus grand mal à maîtriser le désordre ». (The Herald, 13 septembre).
Dans une école d’Aberdeen, l’arrivée d’un piquet volant eut un effet électrique : « Les garçons ayant appris qu’il y avait à l’extérieur un grand nombre de grévistes se révoltèrent. Ils claquèrent leurs pupitres et se ruèrent sauvagement dehors rejoindre les autres grévistes… Il s’ensuivit un grand désordre, et l’équipe des enseignants fut incapable de ramener le calme ». (The Greenock Telegraph, le 16 septembre).
Il y eut pas mal de bagarres entre grévistes et non-grévistes au point que des parents durent s’interposer et qu’il fallut même faire appel à la police « pour protéger les personnes et les biens ». Les grévistes attaquèrent un peu partout les bâtiments scolaires et s’en prirent souvent aux enseignants.
À Liverpool : « Quand les écoliers du quartier de Edgehill furent lâchés à l’heure de la récréation, ils se mirent en grève et manifestèrent à travers les rues… il y eut des vitres brisées et des réverbères en miettes, quant aux « bons écoliers » ils reçurent des coups de bâton » (School Government Chronicle, 16 septembre). À Salmon Pastures School, à l’Est de Sheffield, « on jeta des pierres sur une enseignante alors qu’elle montait dans le tram ».
Dans les Potteries, « des écoliers armés de bâtons et de pierres attaquèrent deux écoles et une demi-douzaine de carreaux fut brisée tandis que des fenêtres d’autres écoles furent démolies » (The Lancashire Daily Post, 15 septembre).
À Liverpool également : « Hier matin des troubles ont de nouveau éclaté à l’école de Sainte-Anne et les maîtres ont connu des difficultés en passant dans les rues près de l’école, les plus révoltés les ont hués, injuriés et comme l’un des maîtres avait saisi un assaillant, il reçut une volée de pierres… On a demandé la protection de la police pour les maîtres et des mesures pour venir à bout de l’agitation ont été prises à la fois par la police et par les autorités scolaires » (Liverpool Daily Post and Mercury, 14 septembre).
À West Hartlepool, 100 garçons environ d’une école municipale sortirent : « Un entrepôt qui se trouvait derrière un hôtel fut pillé et quelques bouteilles de bière et de whisky furent embarquées par les grévistes ainsi que des boîtes de cigares, il y eut quelques garçons arrêtés et inculpés » (The Times, 15 septembre).
(1) L’ « été chaud » de 1911 reste une date marquante de l’histoire sociale britannique. De juin à août, dans les ports et les principales villes industrielles, un formidable mouvement de grèves témoigna de la volonté des travailleurs d’obtenir des salaires plus élevés et de meilleures conditions. Il fallut pour en venir à bout faire intervenir l’armée. Une panique s’empara du pouvoir devant la menace d’une grève générale. Un conseiller municipal de Hull jadis témoin de la Commune de Paris aurait déclaré n’y avoir rien vu de semblable à ces défilés de « femmes aux cheveux défaits et à moitié nues » se ruant dans la rue pour se livrer à la destruction et au saccage.