La répression

Les rapports des grévistes avec les enseignants furent particulièrement violents et témoignent souvent d’une haine profonde, mais du côté des enseignants il n’y eut aucune sympathie à l’égard des jeunes grévistes et là où la répression put s’exercer elle fut sévère et humiliante.
À Bigyn Boys School, Llanelly, le directeur, donna de la canne à tous les grévistes : « Tandis que les enfants étaient en récréation mardi dernier, on s’aperçut qu’il en manquait 30 sur 827. Après enquête, il m’apparaît qu’il n’est pas juste d’appeler cela une grève, il s’agissait simplement d’insubordination de la part de certains garçons… Quand je revins à l’école l’après-midi, je donnai des coups de canne à tous les enfants qui s’étaient absentés » (South Wales Daily Post, 7 septembre).
Le directeur de Huntingdon School entendit par­ler de grève, après les prières, il fit savoir qu’il pouvait aussi frapper et frapper fort s’il le fallait (jeu de mot intraduisible sur le mot strike qui en anglais veut dire à la fois frapper et faire la grève). Parfois l’autorité des maîtres
restait entière : « À l’école de Carlton Road Kentish Town, environ 300 garçons et filles sortirent à l’heure du déjeuner et à 12 h quand la cloche de l’école sonna, ils se ras­semblèrent sur la chaussée et déclarèrent au monde et à eux-mêmes avec des cris d’enthousiasme : « nous sommes en grève ! », mais soudain il y eut un grand silence jusqu’à ce qu’on entendit prononcer sur un ton terrifié : « Ciel, un flic ! » La directrice s’occupa des filles, son apparition à la porte troubla aussi les jeunes enfants, et quand elle eut tapé dans ses mains, ils obéirent au signal avec la mine basse » (Northern Daily Telegraph, 13 septembre).

« À l’école de Bradford, quelques 50 garçons de 10 à 14 ans refusèrent de retourner à leurs pupitres, après le repas, et discutèrent avec beaucoup d’excitation de leurs droits ; toutefois, à l’apparition du directeur, ils retournèrent en classe et cessèrent toute agitation » (The Lancashire Daily Post, 13 septembre).
Là où ils le purent, les enseignants dressèrent les élèves les uns contre les autres : « À Maryport, les maîtres furent capables de mobiliser les élèves loyaux pour se battre contre les grévistes. Quand un piquet de l’école de Grasslot arriva pour entraîner les garçons dans la grève, les élèves des grandes classes furent envoyés dehors pour capturer ceux qui dirigeaient le piquet, il y eut une bataille sur la place du marché, on se servit de pierres et des poings ; quelques-uns des élèves de Grasslot furent attrapés mais ils se battirent avec vigueur et comme ils étaient grands et forts ils purent s’échapper » (Northern Daily News, 16 septembre).
Dans les endroits où les enseignants ne jouissaient plus d’aucune autorité et où régnait une certaine unanimité parmi les élèves, ils firent appel aux parents pour rétablir l’ordre, en utilisant des arguments d’ordre économique. Mr Joseph Roberts, ancien président du comité de l’éducation, décla­rait dans une interview : « L’absence des enfants à l’école diminuerait grandement la subvention du gouvernement. L’absence d’un enfant signifiait une perte d’environ un penny à un penny et demi par demi-journée, il invitait donc les parents à veiller à ce que leurs enfants suivent régulièrement les cours. Plus la subvention serait grande, plus la participation des familles serait faible, la diminution des subventions toucherait indirectement les travailleurs, qui auraient à payer davantage » (Llanelly Mercury, 7 septembre).

je t’en ficherais, moi, des grèves !

En fait, la reprise en mains a été beaucoup plus l’affaire des parents et en particulier des mères qui, dans les familles ouvrières, avaient la responsabilité de l’éducation.
Les articles font rarement état du soutien des parents aux grévistes ; ils ne semblent avoir été favorables que dans une seule ville, Dundee ; ailleurs, « les gar­çons pouvaient bénéficier de la sympathie de leurs pères qui comprenaient leurs sentiments, mais ceux-­ci n’intervenaient pas dans les questions d’école ». « Les plus actifs briseurs de grève dans beaucoup d’endroits semblent avoir été les mères. Non seule­ment elles exerçaient des pressions sur les enfants quand ils rentraient à la maison à la fin du premier jour de grève, mais dans bien des cas elles interve­naient plus activement, entraînant les enfants de force.
les jours suivants, et dans quelques cas elles montèrent un contre-piquet devant les portes de l’école. Par exemple, une tentative de grève à East Wall National School, Dublin, fut très rapidement interrompue par les mères qui s’étaient rassem­blées en force munies de toutes sortes d’armes. Quand les élèves se dispersèrent hier après-midi à trois heures, quelques policiers et de nombreuses mères étaient là pour protéger les garçons qui avaient résisté à toutes les tentations de s’écarter du droit chemin ; sous escorte féminine, ils regagnèrent leur domicile en sécurité » (The Irish Times, 1er septembre).

« Ce furent également les mères qui intervinrent à Londres. De tous côtés, on pouvait voir des cortèges de femmes qui conduisaient leurs jeunes espoirs récalcitrants vers l’école, et il devint évident que la grève battait de l’aile » (The Illustrated Chronicle, 15 septembre).
Des comptes-rendus de presse dans tout le pays racontent comment les mères affrontaient les piquets d’enfants et constituaient en bien des endroits la seule autorité à laquelle les enfants acceptaient de se rendre. À Londres, à l’école de Bath Street, une armée de mères pénétra dans l’école, tirant « leurs progénitures récalcitrantes devant le directeur » (The Indépendant, 15 sep­tembre), et à l’école de Radnor Street, dans un autre coin de ce quartier,
on vit dans la cage d’escalier une mère en colère amenant avec elle son fils qui résistait : « Je t’en ficherais, moi, des grèves ! » (Northern Daily Telegraph, 13 septembre).
Il est certain que les enfants redoutaient beaucoup plus leur mère que les policiers qui étaient de garde devant les portes des écoles, et sans elles, ils ne seraient sans doute jamais retournés en classe. « Quel changement ce matin, les parents ont amené leurs enfants à l’école, d’autres ont menacé du doigt pour faire comprendre à leur progéniture ce qui les attendait s’ils persistaient à manquer l’école » (Hull Daily News, 13 septembre).
À Southampton aussi, les enfants furent reconduits à l’école par leurs mères: « Vendredi matin, prati­quement tous les écoliers avaient repris l’école comme à l’ordinaire. Beaucoup de ceux qui avaient participé aux manifestations des jours précédents étaient accompagnés de leur mère, toutefois le meneur, un garçon d’apparence robuste, fut conduit par son père et gagna l’école escorté par un groupe de sympathisants » (The Hampshire Advertiser, 16 septembre). Simplement l’exception confirme la règle.