Les revendications

Partout, soit sous la forme de déclarations présentées par les comités de grève aux enseignants, soit sur des banderoles, soit encore en les écrivant à la craie sur le pavé et les murs, soit simplement en les scandant dans les manifestations et les meetings, les grévistes exprimaient leurs revendications.

 

À Liverpool ils dressèrent la liste suivante :
« Âge limite fixé à 14 ans,
Des cours moins longs,
Des vacances pour le ramassage des pommes de terre,
Pas de travail à la maison,
L’abolition de la ceinture,
Des crayons et des gommes gratuites ».
(The Greenock Telegraph, 19 septembre).
À Darlington, « des écoliers demandèrent une heure d’instruction gratuite et un shilling par semaine pour suivre les cours » (Northern Daily News, 15 septembre).

« Les élèves des écoles municipales de Low Felling demandent à com­mencer l’école à 9h30 pour terminer à 12 heures et reprendre l’après-midi à 14h jusqu’à 16h, et si ces conditions ne sont pas acceptées, ils disent que le conseiller municipal Costelloe n’a aucune chance d’être maire de Gateshead l’an prochain » (The Illustrated Chronicle, le 15 septembre).
Les grévistes de Hull demandent « une demi-journée de congé par semaine, que les moniteurs soient payés un penny et que tous les élèves quittent l’école à 13 ans ».
À Bradford : « 50 garçons de l’école municipale de Bolton Woods sortirent, demandant la suppression du surveillant chargé de contrôler l’assiduité et un jour de congé supplémentaire en dehors du samedi » (The Star London, 12 septembre).
À Coventry, il y eut un meeting où l’un des ora­teurs déclara : « Il est entendu que les modestes revendications des écoliers sont : pas de travail scolaire à la maison, l’abolition de la canne, une demi-journée de congé le mercredi, la suppression du surveillant chargé du contrôle des assiduités et un penny par semaine pour les moniteurs » (Bir­mingham Daily Mail, le 13 septembre).
À Newcastle, « un nombre important de garçons se regroupèrent pour demander l’abolition de la canne, une demi-journée de congé par semaine et réclamer qu’un penny soit donné tous les vendredi à chaque enfant. Apparemment les socialistes avaient effectué un certain travail parmi ces jeunes plaisantins » (Northern Daily Mail, 15 septembre).
Ces revendications sont fonction, les unes des conditions propres aux écoliers britanniques sou­mis au régime du châtiment corporel, les autres aux particularités du système éducatif : principe du monitorat qui est comme un écho de l’école mutuelliste ; mais la plupart témoignent de l’appartenance de classe des jeunes révoltés. C’est ainsi que la demande d’abolition du contrôle d’assiduité s’explique non seulement à partir d’une pratique qui consistait à donner aux élèves une médaille d’assiduité (2), mais aussi parce que l’école délivrait un « certificat de caractère » sur lequel l’absentéisme et les manquements à la discipline fai­saient l’objet d’une mention spéciale, que les enfants devaient ensuite présenter à leur éventuel employeur. De même la revendication d’un salaire, aussi modique soit-il, non seulement pour les moniteurs qui fournissaient un travail méritant salaire, mais aussi pour tous les écoliers suivant régulièrement les cours, est directement liée au désir d’abolir le statut d’assisté qui était celui de nombreux enfants de familles pauvres. La réduction de la journée de travail ou de la durée de la scolarité se comprend en partie par l’obligation dans laquelle se trouvaient beaucoup d’enfants de travailler pour subvenir à leurs besoins et venir en aide à leur famille (3). Il ne faudrait pas pourtant minimiser comme motif de révolte l’ennui qui régnait dans les écoles municipales où la princi­pale activité consistait à « réciter la table de multi­plication et les versets de la Bible » et la colère des enfants pauvres face à la manière dont les maîtres les traitaient. Ils étaient considérés comme des élèves inférieurs et soumis à des contrôles et des brimades auxquels les écoliers des High schools échappaient. C’est ainsi que tous les matins, les écoliers des bas quartiers étaient inspectés « comme du vulgaire bétail ou du mobilier à vendre » pour savoir s’ils étaient convenablement lavés ; à la moindre trace de saleté, les maîtres les faisaient sortir du rang en les injuriant et les renvoyaient chez eux se laver, chez eux, c’est-à-dire dans les taudis et les logements exigus qu’ils occupaient avec leur famille. Les enfants pouvaient bien venir à l’école pieds nus sans contrevenir au règlement, mais l’attitude des maîtres était fonction de la manière dont ils étaient habillés. Les photos prises lors de manifestations sont sur ce point significatives, on y voit des gamins plus ou moins tondus ou coiffés au bol, la mine creusée, portant cravate mais les pieds nus. Dans les activités sportives aussi, les enfants pauvres étaient traités en inférieurs, comme ils n’avaient pas d’équipement et que l’école ne pouvait leur fournir ni chaussures de foot ni maillots de bain, quand ils allaient se baigner ils y allaient tout nus. Et quand arrivaient le jour de la fête de l’école ou des compétitions spor­tives, les garçons qui n’avaient pas l’habillement réglementaire ne pouvaient y participer. Sur l’une des photos prises pendant la grève à Hull au bord de la rivière, on voit presque tous les garçons nus éclater de rire, comme s’ils prenaient une revanche et compensaient soudain leurs sentiments de pauvres honteux.

(2) Il fallait 4 années sans aucune absence pour obte­nir une médaille de bronze. 6 pour une d’argent et 10 pour une d’or. Les parents ouvriers y attachaient une telle importance qu’ils obli­geaient leurs enfants à aller en classe malades.

(3) Un ancien ouvrier, raconte Dave Marson, se souvient avoir travaillé pour un boucher. Il com­mençait à 6 heures du matin avant d’aller à l’école, et terminait le soir aux environs de 10 heures. Beaucoup d’enfants étaient garçons de courses ou bien aidaient un adulte de la famille qui tenait un étalage au coin d’une rue.