Les allié.e.s

« À Shirebrock, Notts, on raconte que les garçons furent influencés par de jeunes voyous qui les incitaient à lire les journaux qui étaient affichés » (The Weekly Express, 15 septembre).
Naturellement, les autorités académiques et la presse bien-pensante développèrent la thèse de la manipulation et des provocateurs extérieurs à l’école : « À l’école d’Altercliffe, Sheffield, on disait que les garçons avaient été travaillés par quelques femmes excitées, chaque fois que les maîtres arrivaient, elles détalaient ». Le Times du 13 septembre focalisait la grève dans les quartiers les plus pauvres de Hull, où « des femmes incitaient les enfants à suivre l’exemple des grévistes ». On a même écrit que de jeunes grévistes avaient été encouragés par des parents « qui traînaient devant la porte de leur école ». Les enfants en grève eurent certainement le soutien de jeunes travailleurs : « À Leeds, un apprenti mécanicien fut capturé par des maîtres pendant la manifestation ». À Dublin, « l’un des maîtres rejeta la responsabilité de la grève sur quelques garçons qui avaient récemment quitté l’école. Se réjouissant d’être libérés de la pesante discipline de l’école, ces jeunes tra­vailleurs espéraient alléger le sort de leurs anciens camarades encore astreints à de tristes corvées sur les bancs de l’école » (The Irish Times, 15 sep­tembre). Comme les grèves se développèrent surtout dans les quartiers populaires à l’Est des villes où grouillait une population marginale, « un peu zonarde », la frontière entre les jeunes scolarisés et les bandes plus ou moins organisées de voyous étaient mal définie, et ceux-ci vinrent prêter main-forte à ceux-là ; la presse incrimina souvent la « truant class », la classe des élèves faisant l’école buissonnière que l’on trouva au premier rang dans les meetings, les manifestations mais aussi dans les bagarres et les attaques de bâtiments scolaires. Mais « l’absentéisme » que les écoliers pauvres prati­quaient plus souvent par obligation que par révolte n’était-il pas déjà une protestation face à l’ennui et aux brimades qu’ils devaient subir à l’école ?
Ils n’eurent probablement pas le soutien des ouvriers adultes, à l’exception de la ville de Dundee où se trouvaient « les plus gros employeurs d’en­fants de 10 à 14 ans ». D’après Bob Stewart, qui le raconte dans son autobiographie. En brisant les chaînes, on pratiquait dans cette ville le travail à mi-temps ; les enfants passaient une partie de la semaine à travailler à la fabrication des toiles de jute et une autre partie à suivre les cours dans la salle de classe que la loi obligeait les patrons à construire dans l’enceinte même des fabriques.
Aux heures des repas, ils étaient étroitement mélangés aux ouvriers adultes ; certains partageaient leurs repas avec eux, pour payer leur écot les enfants leur lisaient les journaux.
C’est en les parcourant qu’ils apprirent que d’autres enfants à travers le pays s’étaient mis en grève pour faire connaître leur condition. Ailleurs, les enfants pauvres prenaient leur repas dans les « coffee shops » aux frais de l’école, ils côtoyaient donc les adultes non seulement dans leurs familles mais aussi au travail, puisque beaucoup avaient un emploi dans ces coffee shops, mais cela ne semble guère avoir eu d’effets.
Malgré tout ce qui a pu s’écrire sur les aspects parodiques de cette grève, les enfants se l’étaient appropriés et en firent une forme de lutte originale et spécifique.